Ma photo est la n° 85 et après la transparence rouge pour Photomadaire, voilà la transparence bleue d'un morceau de cristal et après le bleu de l'été, le bleu de Lili.
L'avocat commence sa plaidoirie
"Mon client a commis des crimes abominables, néanmoins je vais vous demander de l'acquitter"
Dans le tribunal c'est le tollé général.
Le président a bien du mal à ramener le calme dans son tribunal.
Nous, les jurés ne pouvons nous empêcher de nous lancer des coups d'œil outrés. Oui, bien sûr on nous a dit que nous devions être parfaitement impartiaux, de laisser le bénéfice du doute à l'accusé, etc, etc. Il n'empêche que depuis près d'une semaine on nous abreuve des horreurs que ce monstre a fait subir à d'innocentes victimes et voilà que son avocat nous demande de l'acquitter. On croit rêver !
Pour ma part je regarde un homme en particulier assis dans la partie réservée aux familles. C'est le père d'une des jeunes filles. Elle avait miraculeusement survécu aux sévices subis et après avoir identifié son agresseur, malgré l'amour de sa famille, elle s'était laissé sombrer et s'était suicidée. Et là je vois ce père perdre une fois encore son enfant à cause des propos de ce… non essayons de rester calme.
Le chahut s'étant enfin calmé, l'avocat reprend.
"Oui, Monsieur le Juge, Monsieur l'Avocat Général, Mesdames et Messieurs les jurés. Un fait important vient d'être porté à ma connaissance, juste avant le début de cette audience et il me faut en référer dès maintenant pour que justice soit vraiment rendue à mon client"
Bien sûr les parties civiles s'insurgent, comment un nouvel élément dont elles n'ont pas eu connaissance, c'est inacceptable.
Après un bref débat, le Président accepte que l'avocat de la défense poursuive son argumentation.
Alors dans un grand effet de manches, celui-ci demande au greffier d'introduire son témoin.
Et là devant les yeux ahuris de l'assistance entre un homme en tous points semblables à l'accusé.
"Monsieur le Juge, Monsieur l'Avocat Général, Mesdames et Messieurs les jurés, je vous présente le frère jumeau de mon client. Comment pouvez-vous affirmer que c'est bien mon client qui a commis ces abominations et non son frère ? Certes une des victimes l'a reconnu, mais qui a-t-elle reconnu, mon client ou son frère ?"
Je vois le père de la jeune suicidée s'effondrer un peu plus.
Un des avocats des parties civiles prend la parole.
"Mais nous avons relevé son ADN, il n'y a aucun doute"
"Seulement voilà" pérore, très satisfait de lui l'avocat de la défense "les vrais jumeaux, ce qui est le cas de mon client et de son frère ont des ADN absolument semblables. Seules leurs empreintes digitales pourraient permettre de les identifier formellement. Or, vous n'avez pas trouvé une seule empreinte sur les lieux des crimes. Je demande donc, au nom du principe selon lequel le doute doit bénéficier au prévenu de relaxer purement et simplement mon client".
Tandis que la tempête fait à nouveau rage dans le prétoire, l'avocat se rengorge, les deux frères échangent des regards satisfaits, les familles des victimes ne savent plus si elles doivent hurler de rage ou s'écrouler en larmes.
Je regarde le juge, manifestement l'argument avancé porte.
Non ce n'est pas possible, ce monstre ne va quand même pas arriver à s'en tirer, parce qu'il paraît évident à tout le monde que ce frère sorti par miracle du néant est un complice, peut-être même a-t-il aidé à commettre tous ces meurtres !
La justice ça ne peut pas être ça ! La justice non, mais la loi oui, c'est bien ce qui se peint sur le visage des avocats des parties civiles et du juge.
Au-dessus de nous, la statue de la justice doit verser des larmes sous son bandeau !
Brusquement, je me rends compte que dans le remue-ménage généré par ce rebondissement, le père solitaire a disparu, il doit être aller pleurer de désespoir loin de tout ce simulacre de justice.
Peu à peu le calme revient, le juge et les avocats se concertent pour savoir comment faire pour éviter de relâcher un monstre, non deux monstres dans la nature.
Et voilà que le Père revient, il semble étrangement calme.
Il avance jusqu'au banc des familles et poursuit, sans être arrêté, sa marche vers le banc des accusés.
Là, toujours calmement il brandit une arme et comme au stand de tir, il tire. Une fois. Deux fois. Trois fois. Les jumeaux et leur avocat s'écroulent une fleur rouge en plein milieu du front.
Puis parfaitement serein le Père dépose l'arme, lève les mains, se retourne et adresse un grand sourire libéré aux familles des victimes.
La justice vient d'être rendue. Même si la loi elle n'y trouve pas son compte.
Au-dessus de nous, je suis sûre que la statue de la Justice sourit.
PS – Cette petite histoire m'a été inspirée d'un fait réel dont j'ai eu connaissance il y a maintenant très longtemps et qui m'avait particulièrement choquée à l'époque. Un homme reconnu par la victime qu'il avait manquée avait été relâché parce qu'il n'avait pas été possible de déterminer quel était le jumeau responsable de l'agression. Il y a peut-être maintenant des méthodes pour distinguer un jumeau d'un autre en dehors des empreintes digitales, je n'en sais rien. De même que n'étant pas juriste je n'ai guère de connaissance sur les textes de loi concernant le doute bien fondé et autres joyeusetés.