Dans la Cour de Récré de Jill Bill, avant de glisser la clé sous la porte pour les vacances, je vous propose de rencontrer
Jésabelle.
Venez, suivez-moi dans la forêt de Bigourbourg et pour être plus exacte dans le petit coin où nichent les
Papillanges. C'est parmi eux que nous allons trouver Jésabelle.
C'est une très curieuse Papillange, délicate d'apparence comme tous les autres mais, alors que ses frères et
sœurs sont pleins de couleur, de vitalité et virevoltent dans tous les coins, Jésabelle est beaucoup plus réservée, presque transparente. Des cheveux comme du verre filé, un teint pâle, des ailes
transparentes, elle semblerait presque maladive.
Mais, ça c’est le matin avant d’entamer sa journée de travail.
Tenez, justement la voilà qui s’envole. Attention, ne la perdez pas des yeux. Pour le moment, elle est
tellement translucide qu’on ne peut la repérer qu’au léger scintillement d’air qu’elle laisse derrière elle.
Ah, elle s’arrête près d’une maison. Je crois qu’elle a trouvé de quoi s’occuper.
Une fenêtre est légèrement entrouverte, elle en profite pour se glisser doucement dans l’habitation et comme
à Bigorbourg nous sommes invisibles et sans épaisseur empruntons lui le pas pour la voir à l’œuvre.
Sur quoi peut bien travailler Jésabelle ? Juste un petit rappel la Jésabelle historique était une
vilaine manipulatrice, eh bien disons que la nôtre a aussi ce talent, mais, elle, c’est pour la bonne cause.
Installez-vous, vous allez comprendre.
Dans le salon, il y a installée dans un fauteuil confortable une grand-mère aux cheveux blancs qui doivent
être tout doux au toucher j’en suis sûre. Près d’elle, assise sur le bras du fauteuil, il y a une petite fille aux cheveux raides comme des baguettes de tambour, sa main joue avec les cheveux de
sa grand-mère et elle pose des questions, plein de questions.
Des questions sur quoi ?
Des questions sur les quelques vieilles photos en noir et blanc qui s’alanguissent sur les genoux de son
aïeule. Des photos qui lui
font demander avec des étoiles dans les yeux.
« Pourquoi la dame a ce drôle de chapeau »
« Pourquoi la petite fille a des cheveux tout bizarres »
« Qui c’est ce monsieur, et cette dame, et ce bébé ? »
« C’est où cette maison ? »
« Et pourquoi elle a l’air triste la dame ? »
Et la grand-mère fouille dans sa mémoire, elle essaye de se rappeler pourquoi elle avait mis ce drôle de
bibi, elle tente d’expliquer que cette dame c’est sa maman à elle et que si elle est triste c’est parce que la vie était dure pour les femmes seules, que cette petite fille malicieuse aux cheveux
tout frisés c’est la maman de la fillette le jour de la remise des prix, que ce bébé, c’est, c’est … elle ne sait plus de qui il s’agit.
La petite fille s’impatiente, elle veut tout savoir pourquoi ? Et si ? Et mais ? Et
comment ?
Voyant l’air un peu désemparé de la vieille dame, notre Jésabelle s’approche, elle se met à tournoyer doucement
autour de la tête blanche.
Et voilà, brusquement les souvenirs affluent, ils reprennent des couleurs, de la vie, les mots coulent
facilement, le rire est proche des larmes, les larmes se transforment en rire. Et la petite fille bat des mains, toute heureuse de rencontrer sa maman à son âge, toute désolée de ne pas pouvoir
serrer ce monsieur dans ses bras.
Et la grand-mère sourit, elle sait bien que la petite fille ne retiendra pas tout de ses histoires, qu’un jour elle sera
heureuse de retrouver ces vieilles photos, mais tellement frustrée aussi de ne plus se souvenir des paroles qui allaient avec.
Voilà c’est ça le travail de Jésabelle, comme le dit la chanson « Les
souvenirs que l'on croit fanés sont des êtres vivants » et elle, elle leur rend la vie.
Mieux encore, elle peut aussi atténuer les souvenirs tristes, ceux qui restent tellement plus présents dans
l’esprit que les souvenirs heureux.
Et lorsque la fillette écarte les photos et se pelotonne sur les genoux de sa grand-mère pour un gros câlin
complice, la petite Papillange reprend son vol et regardez comme elle a maintenant de belles couleurs, comme elle paraît pleine de vie ! Les souvenirs la nourrissent, comme ils nous
nourrissent, alors gardons les bien précieusement, ils réchaufferont les jours tristes et ils perpétueront la mémoire des êtres aimés.
Photos familiales bien sûr alors de haut en bas et de gauche à droite :
Mon arrière-grand-mère et mon arrière-grand-oncle (enfin je crois) et bébé inconnu 1920/1930
Ma mère à la remise de prix 1938 ou 39
Mon arrière-grand-mère et ma mère entre 1937 et 1940
Ma grand-mère en 1943
Et ma pomme en 1957-58