La jeune femme regarde sa roue à plat. Elle est arrêtée en rase campagne, à des kilomètres de tout, seul un petit bois à quelques centaines de mètres rompt la monotonie du paysage. La dernière bourgade qu'elle a traversée est loin derrière elle et la prochaine est tout aussi éloignée. Et le soleil commence à se coucher.
Elle a monté la voiture sur le cric, sorti la roue de secours. Reste à desserrer les boulons.
Elle commence à désespérer, quand tout à coup elle perçoit le son d'un moteur qui arrive.
L'homme dans sa voiture voit la jeune femme en difficulté immobilisée au bord de la route.
Il ralentit, plutôt jolie, ça peut peut-être valoir la peine de s'arrêter.
Il freine, sort de son automobile et s'approche.
Il affiche un large sourire, regarde bien en face, il sait à quel point la première impression est importante pour mettre les "proies" en confiance.
D'une belle voix profonde, il interroge : "Puis-je vous aider ?"
La jeune femme le regarde s'avancer, lui lance un regard méfiant d’abord, puis approbateur : bel homme, bien habillé, une voix ferme, un regard franc.
Elle sourit à son tour : "Oui, volontiers, je n’arrive pas à venir à bout de ces sacrés boulons. »
"Laissez-moi faire, c'est l'affaire de quelques secondes. Vous avez de la chance que je sois passé, on ne sait jamais sur qui on risque de tomber en pleine nuit."
Il relève la tête, un sourire un peu narquois sur les lèvres, quelque chose de félin dans l’attitude.
Elle secoue la tête, un peu tendue, son cœur se met à battre plus vite. Elle regarde au loin pour vérifier si d'autres véhicules ne sont pas sur le point de passer.
L'homme continue de parler, de tout de rien, son ton en devient presque hypnotique.
Après quelques minutes de travail, la roue est changée.
Pendant qu'il range cric, manivelle et roue crevée, elle se glisse dans l'habitacle de sa voiture et attrape un rouleau d'essuie-tout pour qu'il puisse se nettoyer les mains.
Nonchalamment, il s'appuie sur la portière, l'empêchant de la fermer. Il attrape les chiffons et commence à se frotter les mains tout en la fixant du regard.
La voix un peu tremblante, elle lui propose une lingette pour finir de se dégraisser les mains, à son tour elle se met à parler de tout de rien pour essayer d’alléger l'atmosphère.
Il continue à la regarder d'un air de plus en plus ironique, un chat contemplant une souris.
Se sentant en état d'infériorité ainsi assise dans la voiture, elle attrape son sac et sort pour se tenir devant lui.
Et tout à coup c'est l'attaque. Brutale, violente, un rire sec, un "On va bien s'amuser ensemble".
Eclair argenté, choc, sang qui gicle, corps qui s’affaisse.
Le rire à nouveau : "Oui, on va bien s'amuser".
Le lendemain matin, les gendarmes entourent la voiture immobilisée sur le bas-côté. Ils ont été prévenus par
un automobiliste affolé et à demi incohérent. Une voiture, la route, un corps, et du sang, du sang partout !
Maintenant, après les premières constatations, ils attendent le responsable chargé de l'enquête sur le tueur aux montres, parce que penchés sur le corps martyrisé ils ont vu la signature que laisse ce tueur impitoyable, la montre de sa victime écrasée à l'heure de sa mort. Comme les papiers de la victime ont également disparus, ils ont transmis le numéro d'immatriculation et attendent le résultat.
Bientôt, l'inspecteur chargé de l'affaire arrive. Il essaye de garder bonne contenance devant le corps, mais il a beau faire, à chaque fois le malaise le submerge, C’est pourtant déjà la dixième victime, il devrait s'y faire mais il ne peut s’habituer à la froide sauvagerie du tueur.
Alors qu'à son tour il fait le tour de la scène de crime, il entend qu'on ouvre le coffre, et se retourne, furieux, près à incendier le coupable, lorsqu'il voit le regard fixe du jeune gendarme qui contemple ahuri l'intérieur du coffre.
A son tour il s'approche et reste figé. Est-ce possible ? Dans le coffre, une bonne dizaine de sacs de femme s'entassent, couverts de sang.
Tous les hommes présents s'entre-regardent, mal à l'aise.
L'inspecteur s'éclaircit la gorge : "Eh bien au moins le collègue chargé de l'affaire du tueur aux sacs n'aura plus à s'arracher les cheveux, il semblerait que mon assassin ait réglé son problème."
Il se tourne vers le corps affalé par terre, le costume chic réduit en lambeaux
et imprégné du sang qui a coulé de ses multiples blessures. L'homme a sur le visage un air étonné.
Chez elle, une jeune femme sort de son lit et s'étire avec tout l'abandon et le plaisir d'un tigre. Elle
se souvient de la délicieuse rencontre d'hier soir. Les
hommes sont tellement prévisibles : ils ne
donnent jamais un coup de main sans espérer une
contrepartie en nature. Celui-là était un peu trop sûr de
lui et comme d'autres avant lui, il l'a payé de sa vie. Elle jette un coup d'œil sur le portefeuille de sa victime, le range avec les autres dans son tiroir à secrets et tout en sirotant un jus de carotte, commence déjà à se demander sur quelle petite route départementale elle va tendre son prochain
piège
.